Les vidéos gastrégotico-kaskouilles sont à la cuisine sincère ce que le SUV 4/4 mondain tout cuir à sono de boite de nuit pour sourds pas si urbains que ça est à une petite MG casse-vertèbres mais usine à banane, à une vespa aux freins fantaisistes mais sentant la vacance romaine, à un bon vieux vélo à la campagne pendant la saison de la récré géante.
Bref, ça m’emm. de scénariser et réaliser un bout de film pour encombrer youtube de ma recette du rougail, mais ça serait quand même dommage de ne pas contribuer à la sagesse collective question saucisses mijotées entre tomates et oignons façon Île de la Réunion (notez que le rougail saucisse est, étrangement, un des rares trucs pas trouvables chez Picard à micro-onder facilvitfait au pied levé).
Alors, voilà :
- Acheter ce qu’il faut, en quantité comme il faut, le moins simple étant de trouver des pois du cap gourmands comme au refuge de la caverne du Piton des Neiges, de choisir ses tomates au jus en boite pelées mais pas en purée, et de décider si on fait avec des Morteau ou des Montbéliard (celles d’un bon boucher sont supérieures, en général, à celle de Félix Potin, mais on n’a pas toujours le temps d’aller faire de vraies courses, ni le budget pour des produits de haute qualité, et l’honnêteté intellectuelle, une fois n’est pas coutume, oblige à reconnaitre que c’est pas mijoté dans un rougail pimenté que s’exprime le mieux la compétence du charcutier, créole ou pas, de talent travaillant des produits de noble origine géographiquement contrôlée, étant entendu que le rougail, c’est comme le cassoulet, la feijoada, ou les tripoux, un truc sympa mais populaire que personne d’à peu près normal ne cuisine au trébuchet, comme s’il s’agissait d’asperges en petits pois, d’un poulet de Bresse au vin jaune, ou du foie gras mi-cuit du Noël en famille, avec des ingrédients ruineux label über-rouge supra-biobo de chez « fauchons » ou telle ou telle grande épicerie chicosse), cette fois, au cas où il y aurait les deux disponibles mais pas de saucisses plus « pays, sinon créoles » -lire de la Réunion, pas du Jura-.
- Inviter qui il faut, pasque si on invite pas des convives idoines, ça peut pas aller, ça sera moins bon, la bière sera tiède, et le rhum arrangé mal embouché.
- Couper les saucisses en tranches comme il faut (y’en a des qui préfèrent plus ou moins épaisses, bien rondes ou ovales, c’est komtuveutuchoiz) et les faire dorer comme il faut et rendre un peu de bon gras sans le brûler, en plusieurs fois s’il y en a un gros paquet, réserver la viande et laisser un bon peu du bon gras dans la poêle (du genre comme il faut, un peu pas mal plus profonde qu’une poêle à crêpes, ça va de soi, mais un faitout bien rôdé ou une cocotte historique n’attachant pas trop peuvent convenir).
- Faire cuire le curry, et/ou le curcuma, en dose comme il faut, dans le bon gras de la poêle des saucisses, sans rien faire brûler, (comme pour un curry à l’indienne, en laissant le bon gras entrer, puis ressortir, mais avec moins de curry, sinon c’est un curry, pas un rougail), ajouter les oignons préalablement coupés fins mais pas toufintoufins, sinon c’est une soupe à l’oignon, et faire revenir comme il faut, en remuant de temps en temps, et en ajoutant selon l’inspiration et les goûts des convives un peu de piment oiseau ou assimilé dégrainé coupé en petits bouts.
- Ajouter les tomates pelées (moi, je trouve que c’est pratique et aussi bon en boite, de préférence un peu responsable, voire bio, et pas trop made in China, mais y’a des ceusses puristes qui préfèrent s’embêter à blanchir et éplucher des belles tomates de saison ou des daubasses fraîchement achetées dans un commerce receleur de fruits et légumes imprimés en 3D en banlieue ou fabriquées hors-sol en Hollande ou Belgique), coupées grossièrement mais avec un bon couteau très tranchant, sinon ça fait de la bouillie (c’est pas pour une Bolognèse), touiller à la cuillère en bois (jamais de métal, çavapa, ni de plastoc, cépabien) le temps que tout ça devienne ami à feu doux ma non troppo en chantant l’hymne italien, ou « O sole mio », comme pour une fondue, puis laisser cuire un petit moment en revenant touiller et renifler de temps en temps. On peut ajouter du thym, du poivre, des trucs qu’on apprécie, de l’ail -en début de cuisson, avec l’oignon-, du gingembre -en toute fin de cuisson, avec le rab de saucisses, cf point 8 faut pas que ça cuise-, whatever works si on aime (et on peut faire ça avec otchoz que des Morteau ou des Montbeliard, même du poisson, d’autres viandes pour changer, de la ratatouille à la place des tomates, ou du vegan, genre igname ou navet, si on préfère ne pas manger d’animaux morts ou vifs -le cri des huitres que vous croquez après les avoir charcutées, ça vous indiffère ?-).
- Quand ça a l’air bien, ajouter entre une grosse moitié et trois petits quarts, autour de deux bons tiers, en fait, des rondelles de saucisses en leur chantant Guantanamera ou rule Britannia, comme pour les patates d’une raclette, sinon cépabon. Touiller un peu ma non troppo, avec distinction, pour bien intégrer les saucisses, mais surtout ne pas casser les rondelles (nb le reste des saucisses sera ajouté sur le toutime juste avant le service, histoire d’avoir deux consistances différentes, des rondelles mijotées très moelleuses, et les autres encore un brin crousti-croquantes).
- Laisser mijoter couvert, avec un truc de grand-mère à rehausser les casseroles sur le gaz (si ça ne s’est pas évaporé avec tous les autres trucs biens pour la cuisine d’avant que tel ou telle ignare a inévitablement bazardé ou vendu avec les timbales de baptême, les mirabelles au sirop de la cave, le recueil de recettes de famille écrites à la main jusqu’alors transmises de génération en génération comme le secret des patates à l’ancienne ou le nombre de plaques de beurre nécessaire pour faire de bonnes pommes de terre sautées, et les cuivres ancestraux lors d’un héritage ou d’un déménagement), ou selon tout moyen permettant de ne pas faire crâmer le truc, sauf si on aime le goût du brûlé de fond de casserole.
- Ajouter le rab de saucisses sur, pas dans, le toutime (ou servir séparément, s’il n’y a pas de risque que ça refroidisse), fouiller la cuisine pour dénicher une louche de service ad-hoc et un dessous de plat assez costaud, et apporter à table, dans le faitout chaud sauf si on trouve absolument indispensable de mettre les petits plats dans la grande argenterie avec chauffe-plat, saucière, et tralala tsoin-tsoin pour le rougail, le riz, les pois, la salade etc.
Epicétou ! (ne pas oublier d’ajouter le dernier tiers provisionnel de rondelles de saucisses avant de servir, cf point,6, et puis avoir pensé à lancer la cuisson du riz AVANT, à avoir géré les haricots -idéalement pois du Cap, mais des haricots rouges honnêtes pas chers, ou des lentilles, font très bien l’affaire-, à avoir préparé une salade de concombre au citron avec un peu de piment, à avoir demandé à quelqu’un d’apporter du dessert kivabien, plutôt genre light et cool, mais chacun fait komilveu, pareil pour les boissons, sachant que c’est toujours une bonne idée de rapporter 5 kilos de rhum en cubi et quelques bouteilles de rhum arrangé de l’aéroport de Saint Denis, pas cher et sans contrainte de douane, vive la France d’Outre-Mer !).
Reno – 18 juillet 2016
PS : le rougail, c’est comme tous les bons plats mijotés, tout le monde a sa technique, et son truc perso pour qu’il ne ressemble à aucun autre même en suivant minutieusement une recette, y’en a par exemple des qui préfèrent jeter le bon gras offert par les saucisses et frire les oignons dans de l’huile d’olive ou whatever works, mélanger un peu de fenouil dans les oignons, et/ou ajouter leur perlimpimpin secret avec amour, humour, whatever works …