Bécassine est d’un temps que les moins de 100 ans n’ont pas connu et d’une France d’autres primaires. Sa « ligne claire » née en 1905 pour remplir un blanc dans le magazine « la Semaine de Suzette » a inspiré la ligne graphique de Tintin : à quand un film de Spielberg ?
Bécassine n’est pas une héroïne des Trente Glorieuses, elle est d’un temps où en guise d’ascenseur social fonctionnant à la machine aux vapeurs promises et autres énergies épatantes fantasmées, on devait se contenter d’une lourde corde, au mieux d’un escalier plus ou ou moins raide (à construire soi-même si on n’avait pas hérité du titre de gloire d’un ancêtre qui avait fait les croisades ou d’un oncle d’Amérique), de coups de mains plus ou moins aléatoires (en faisant déjà attention aux faux amis et autres vendeurs de rêves) et de coups du sort aussi imprévisibles que, sinon le battement d’aile d’un papillon à Rio, les clins d’oeil d’un arbitre de rugby au bout du monde.
Elle est d’un temps où déjà les domestiques et autres animaux vivaient souvent en mauvaises compagnies même si en l’absence d’ascenseur, rares étaient les vieux barbons rentiers pas trop fidèles aux valeurs morales qu’ils sponsorisaient et autres héritiers pas trop dignes de généalogies qu’ils insultaient déjà, qui prenaient la peine de monter jusqu’aux étages des chambres de bonnes pour célébrer leurs pâtes aux truffes et digérer leurs petits déjeuners plantureux en siestes plus ou moins crapuleuses. Au moins pouvait-on travailler tranquille, même si déjà on n’était pas trop payé et si seuls quelques privilégiés et autres rares élus bénéficiaient de la garantie de l’emploi et d’un régime particulier de retraite, penserait-elle.
D’un temps où déjà le climat était déjà très changeant, les vents déjà pas toujours favorables, le lundi déjà pas trop au soleil. Mais elle se souvenait d’une marine pas encore sabordée à Toulon ou ailleurs, de marins pas encore syndiqués dans les docks ou fonctionnaires ailleurs, de pionniers partant vers d’autres ailleurs sans trop de bagages ni de plans de carrière ou whatever. Et bien que bretonne, elle ne connaissait pas le syndrome de Tanguy et votait avec ses pieds comme les futurs exilés fiscaux et autres porteurs de valises de sinistre future mémoire, ou comme les jeunes indignés porteurs de … vent frais, eux.
D’un temps où déjà des politiciens professionnels et/ou diplômés rebondissaient de promesses non tenues pendant leurs mandats en promesse non tenables pendant leurs campagnes électorales ; d’échecs inavoués mais connus de tous en chèques (cheiks ?) inavouables mais inconnus de la plupart ; d’ambitions personnelles jamais assez assouvies en mandats électifs jamais assez prestigieux puis en fromages palliatifs jamais assez confortables. Elle se dirait que rien n’a vraiment changé sous les ors de la République même si les hôtels de régions sont climatisés et si les zélus comptant sur leurs doigts peuvent maintenant endetter les générations futures pour financer à taux variable en franc suisse des ronds-points inutiles, des régimes spéciaux de retraite, des logements de fonctions bien chauffés et autres dépenses courantes qu’il serait populiste de critiquer.
Elle dirait « double beurk ! » comme tout le monde qui a une certaine idée de la civilisation en voyant le lynchage médiatisé de Kadhafi puis le cadavre exposé de cet ennemi sur la tombe duquel on pourra bientôt aller cracher (le secret de l’emplacement de la tombe de Kadhafi durera moins longtemps que celui du des pyramides ou d’un clic sur Facebook, évidemment) comme sur tout ce qu’on adore un temps avant de le négliger s’il ne rapporte pas d’argent puis le détester si ça nous coûte de l’argent. Elle serait quand même fière que la Royale ait contribué à une victoire militaire, même si le porte-avion n’a pas été aussi glorieusement actif que son nom donnait à l’espérer, depuis le temps que de Trafalgar en sabordage de Toulon et autres fesses rouges en America’s Cup, on avait un peu oublié Richelieu et Colbert, les Corsaires du Roy et Yorktown (dont on parlait encore à l’école de Jules Ferry en 1905) et pas encore inventé Cousteau et Tabarly.
Bécassine resterait probablement silencieuse devant la chronique de la mort annoncée de l’entreprise Seafrance en sursit depuis 3 ans, dernière victime en date de cette sorte de folle et suicidaire incompétence économique collective qui amène à sec le seul pays du monde à disposer de côtes, de ports et de bordels sur toutes les mers et tous les océans, de Mare Nostrum au Pacifique, ce pays de Lesseps qui a su inventer le canal de Suez, l’usine marémotrice de la Rance et le scandale de Panama, ce pays dont les dockers réussissent à être encore plus en grève que les contrôleurs aériens et autres privilégiés du monde dit « du travail ». Elle penserait faire un mauvais rêve, comme si on lui disait que les fleurons de la flotte du monde d’hier ont été vendus à la ferraille ou au Brésil, que le fleuron de la flotte d’aujourd’hui cherche une hélice « plug n’ play » sur e-bay et que le fleuron de la flotte de demain sera construit en Chine ou en Corée dans un chantier probablement financé par l’aide au développement des futurs « AAA ».
Elle resterait bouche bée si on lui racontait qu’après deux guerres dites « mondiales » atrocement meurtrières pour les citoyens et affreusement suicidaires pour les pays d’Europe, on a réussi contre toute attente à créer Airbus, Erasmus et l’Euro et on a la chance de pouvoir inventer les Etats-Unis d’Europe (un peu contraints et forcés mais peu importe) mais tout le monde en France freine des quatre fers par qu’il faudra probablement apprendre l’Allemand alors qu’on préfère les langues mortes ou au moins très décadentes, ré-apprendre à compter alors qu’on adore les mathématiques modernes, déléguer des compétence à Bruxelles ou ailleurs alors qu’on se passionne pour la territorialité parce que ça a marché en Allemagne au siècle dernier et que ça permet d’inaugurer des chrysanthèmes en période de guerre seulement économique, enfin accepter de perdre des élections plutôt que son temps dans des grands hôtels de pass(ag)e payés par les contribuables ou des restaurants (g)astronomiques financés sur indemnités défiscalisées parce qu’on dirait la vérité plutôt que de se tromper soi-même à coup de fantasmes et de discours et qu’on fait le job comme Churchill plutôt que campagne au Festival d’Avignon ou ailleurs comme tout le monde, jamborée à La Rochelle comme à tribord, journées à Marseille comme à babord ou whatever permet l’autosatisfaction mutuelle dans d’autres ports, ou encore jambes en l’air à Marrakech ou près d’autres aéroports.
Bécassine dirait : « Essayez d’au-moins sauver Airbus et Ariane même si Toulouse sera bientôt un musée parce que le climat est plus clément (Adler ?) à Hambourg et les sous-traitants de Tianjin moins exilés, fiscaux ou whatever golf, que les descendants des faucheurs de marguerites« .
Enfin, Bécassine dirait surtout : « Félicitations » à qui vous savez même si elle ne donnerait peut être pas 100% tort à sa « compatriote » protestataire bretonne très à tribord qui renaude que ça ne se fait pas d’appeler comme une des plus belles bagnoles raisonnablement abordables de l’âge d’or de l’automobile latine une môme qu’on ne connait pas et qui a toutes les chances de devenir une pourrie-gâtée qui achètera de grosses daubasses diesel, made in Germany (aussi blindées qu’elle et 4-4 si elle n’habite plus dans les arrondissements de Paris où les rues sont nettoyées au Karcher matin et soir mais où on ne peut pas garer assez de voitures parce que les vieux architectes n’avaient pas prévu qu’on aurait besoin de 4 jouets par grand môme aisé, ni que le système de parking résidentiel de la mairie, partant de bonnes intentions techno-fficielles bien entendu, aboutirait à stupidement congeler pour un euro la semaine au bénéfice de nantis les rares places restantes après la création des parkings Vélib’ sur la chaussée alors qu’on pouvait très bien faire autrement) ou pire comme tous les héri-rentiers nés avec une cuillère en argent dans la bouche, un poil dans une main et un couteau dans l’autre.
C’est vraiment notre cousine, cette ancêtre gauloise qui parle d’or ?
Renaud Favier – renaudfavier.com – musique ! – 25 octobre 2011
Ps : sur l’austérité, Bécassine ne dirait trop rien parce que d’une part elle est habituée à rouler en véhicule normal (et elle sait que ça suffit en général pour aller d’un point A à B trop éloigné pour courir ou rouler à vélo sans être dépendant des horaires des trains ou des grévistes) et à finir son assiette de pâtes sans truffes ni même trop de fromage râpé (et elle sait que c’est déjà bien qu’il y ait quelque chose de nourrissant et de pas trop malsain dans la gamelle) ; d’autre part elle a compris, elle, qu’on est en guerre économique et que même s’il faut garder son sang froid et acheter des actions pour empêcher les spéculateurs en bourse et autres nababs immobiliers de prendre complètement le contrôle du pays et de notre avenir, ce n’est pas le moment au son du canon de se gaver de beurre en demandant l’argent dudit et le slip de la crémière en bonus ; enfin elle sait bien que même si l’été indien est un peu trompeur, on est en automne et fatalement l’hiver et la bise arriveront avec ou sans réchauffement climatique, changement politique, (d)ébat budgétaire pathétique ou autre mercredi bruxellois fatidique pour l’Euro(pe) et plus si affinités.
C’est fini pour aujourd’hui, parce que même si le film de Spielberg (sur Tintin pour cette fois) ne sort que demain, quand il faut y aller (à Bruxelles ou ailleurs), faut y aller.












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