L’auteur du « livre de la jungle », 1er Nobel de littérature anglophone (1907), portait sur sa contemporanéité un oeil de poète journaliste, optimiste mais trop clairvoyant pour ne pas être lucide sur un monde en voie de disparition aussi sûre que même le meilleur thé refroidit.
L’écrivain pragmatique ne se formaliserait pas qu’une marque de maroquinerie ait vampirisé son nom sur Google, qu’on ne le lise plus guère et qu’on trouve dans le cloud qu’une poignée de photos de lui noyées dans une marée de sacs à mains (amen ?) ou à dos (ados ?) et quelques images pour enfants, moins d’un siècle après sa disparition. L’écrivain voyageur s’en amuserait comme il avait sourit de l’annonce prématurée de son décès dans une revue : « Je viens de lire que j’étais décédé. N’oubliez pas de me rayer de la liste des abonnés. »
L’homme un temps installé en famille dans un genre de « petite maison dans la prairie » surnommée « Bliss Cottage » dans le Vermont adorait l’automne du Nord de l’Amérique. L’automne d’un Nouveau Monde, printemps d’un monde nouveau où il rencontra Mark Twain et qui n’était déjà plus depuis un moment la Nouvelle France, ni d’ailleurs la Nouvelle Angleterre … Cet automne tellement … d’Europe, d’où Conan Doyle lui rendit visite et lui transmis le goût du golf.
Kipling n’était pas notoirement sportif mais il était d’une époque où l’on chantait avec plus de coeur (choeurs ?) les hymnes nationaux et où l’on avait encore le souvenir d’un monde que se disputaient Français et Britanniques sans bien savoir lesquels s’en tireraient le mieux ou les derniers. Il savourerait en esthète amateur d’histoire(s) plus qu’en supporter un match de rugby au bout du Nouveau Monde entre Français et Gallois. Dirait-il « Allez les Bleus » ? Rien n’est moins sûr, il était citoyen du monde mais sujet de sa très gracieuse Majesté, quand même. Peut-être garderait-il pour lui son choix personnel et encouragerait-il les deux vaillantes équipes de capitaines courageux dans un fair-play « So British ».
L’écrivain, qui n’oublia jamais (ni ne s’en formalisa trop) ses débuts plus « pâtes » de journaliste débutant que « truffes » de vedette du médiacosme, gratterait probablement par routine un chapitre de livre de la jungle sur les élections de France mais le vieil enfant né en Inde trouverait les éléphants un peu fades, les vieux crocodiles un peu prévisibles, les coups de griffes un peu convenus, les singes un peu primaires, la jungle un peu monochrome et tous les petits d’hommes voulant être rois un peu … petits.
Le journaliste chercheur de vérité(s) frappé par le décès de son fils qu’il avait envoyé à la guerre (alors qu’il avait été réformé) avertirait probablement les dirigeants du siècle de la guerre économique et les pères des enfants qui manifestent un peu partout contre les dérives financières en leur rappelant ce qu’il avait écrit en 1915 : « Si quelqu’un veut savoir pourquoi nous sommes morts, / Dites-leur : parce que nos pères ont menti ». Il leur recommanderait de lire sa nouvelle « Le jardinier » sur des visites dans des cimetières de guerre (et un peu de Voltaire, aussi).
Inventeur du « parce que », controversé y compris par les siens ou d’autres grandes gueules plumes de son temps qui avaient pris pour fond de commerce littéraire un radicalisme plus vendeur, comme tous les esprits libres qui osent penser et dire, il encouragerait sans doute les indignés à rester debout, à ne pas baisser, ni fermer les yeux.
Kipling avait refusé d’être anobli.
Renaud Favier – renaudfavier.com – musique ! – 14 octobre 2011
Ps : Kipling n’a pas écrit que des romans pour grands enfants, des poèmes pour grands hommes (et femmes) et des épitaphes pour grands empires sous couvert de science-fiction. Kim est un livre magnifique, précurseur des John Le Carré et autres explorateurs des parts d’ombres des guerriers guerres de tous les mondains mondes.
C’est fini pour aujourd’hui parce qu’avec ce temps magnifique il faut aller honorer Kipling l’Indien en profitant de l’été de même (après avoir chanté la Marseillaise avec la TV quand même, parce qu’Allez les Bleus du bout du monde qui ne se coincent pas de chewing-gum dans les protège-dents pendant les hymnes, eux …).









