Avant, on pouvait avoir tort avec un intellectuel, raison avec un génie, ou les deux, ou pas, dans plein de cafés. Maintenant, ça a changé : on peut soutenir un couac, avoir raison d’un twit, ou tort, ou les deux, ou l’inverse. Le café à Paris, du vrai l’existentialisme au réel socialisme.
Avant, un (plus ou moins) djeuns ayant eu la chance de naître dans une famille sérieuse, avec un des bons cerveaux de bacheliers français de sa génération, qu’on croisait dans un café, ne faisait pas une (ou deux) école(s) pour devenir spéculateur financier, consultant de luxe, placardisé doré, ou politicien (à) professionnel(les) …
Il faisait des études supérieures sérieuses, « normales », si possible Normale Sup’ d’ailleurs, ou Saint Cyr (s’il voulait voir du pays, commander sans obligation de résultat et voyager en uniforme dans les ambassades ou les bases militaires genre arsenal de Saint-Tropez, plages d’autour de Mururoa ou autres poussières d’Empire), dans des domaines utiles à la civilisation, à l’avenir de l’humanité, au progrès technique, à la grandeur de la France, ou pas, en tout cas ils ne faisaient pas 4 ou 5 ans d’épreuves de sélection permanente entre deux surprises-parties et des week-ends au ski à 20 berges, et ensuite ils s’entretenaient le neurone sans pantoufler ou s’asseoir en famille et/ou entre amis d’une manière plus ou moins élégante sur l’intérêt général et les genoux de la République.
Antoine, par exemple, il a fait des études normales comme tous les fils de bourges bons en maths de sa génération, mais ça ne l’a pas empêché de faire une carrière honnête sans trop jouer les parasites du système, dilapideurs d’héritage et spoliateurs des générations suivantes comme les rebelles des sixties devenus banquiers fonctionnaires en Audi, publicitaires fonctionnaires en Porsche, lobbyistes en 4/4 avec allume-cigare à tous les fauteuils en cuir, ou politiciens avec chauffeur soud-muet-aveugle et sièges arrières garnis.
Avant, les (plus ou moins) jeunes gens (plus ou moins) prometteurs ne passaient pas leur temps « libre » (lire : entre passages en Bastille sur un malentendu, transports à faible vitesse et nombreuses obligations sociales genre longue cour à faire aux femmes pour les lutiner, voire les épouser si intérêt, et aux puissants pour butiner quelques miettes de leurs repas et profiter de l’ombre de leurs autres privilèges, toussa-touça …) à sniffer du rosé au pamplemousse en rallye, à écouter des (ra)conteurs mondains et regarder des vieux politiciens chauves pas que du neurone à la TV, ou à coller des affiches pour des partis plus consternants les uns que les autres ou des causes plus instrumentalisées encore que les faits divers pendant les campagnes électorales.

Le café Procope au xviiie siècle : 2nd plan, de gauche à droite : Condorcet, La Harpe, Voltaire et Diderot.
Mais c’était avant, quand les djeuns rastignacs provinciaux et les versaillais rêvaient de la terrasse du café de la Sorbonne, pas des arrière-salles (honni qui derrières y pense) du Fouquet’s, des sous-sols (saoûls au sol ?) des boites à filles chics des Champs-Elysées, ou de bunga-bunga sur de la zique de Psy aux Carltons et assimilés.
Maintenant, c’est différent, les djeuns supérieurs font conseillers de ministres, les djeuns les plus supérieurement intelligents de leur génération font conseillers techniques à l’Elysée, et les 1% vraiment tarés font conseillers en communication politique, dans une agence s’ils ont du piston, à Matignon si vraiment ils ne trouvent de stage nulle part ailleurs.
CQFD, c’est comme ça, maintenant, en république socialocouaquante de Veaux-Landie, mais c’est pas grave, parce que comme tous les djeuns à potentiel s’exilent pour rejoindre les anciens de leurs « grandes » écoles pour patriotes exemplaires déjà exilés fiscaux et leurs ancêtres réfugiés politiques (la France a de longue date un talent pour faire fuir ses élites, depuis les protestants et autres persécutés d’il y a des siècles jusqu’aux acteurs avares et/ou avariés, en général, de maintenant), et que les diplômes français ne servent à peu près rien à l’étranger, peu importe.
Quel dommage, c’était tellement bien quand il n’y avait pas que des touristes, de vieux politiciens, des retraités, et des chômistes aux cafés chics de Paris, aux heures de bureau.
Heureusement, il reste des cafés, des terrasses, des tasses, et du café.
Renaud Favier – 20 septembre 2013 – Facebook Café du matin à Paris – LinkedIn
Bonus : même (surtout) le Flore n’est plus ce qu’il était il y a seulement une décennie …
















